Au bout du rouleau

7Avr/16Off

En mouvement

La direction possible des mouvements de translation par une force supérieure est, comme on sait, l'hypothèse cartésienne, que Leibnitz a réfutée et qu'a reprise Cournot. Cette thèse peut donner lieu à deux sortes d'objections, les unes tirées de ses conséquences, les autres tirées de ses principes. On connaît d'abord l'objection per absurdum proposée par Leibnitz. «Qui nous empêcherait, demandait-il à Descartes, de sauter jusqu'à la lune?»—Mais on peut contester cette conclusion de Leibnitz sur le pouvoir que nous conférerait le clinamen, et dire que ce pouvoir n'est pas nécessairement indéfini. On pourrait imaginer un certain quantum d'énergie à la disposition des êtres libres; on serait incapable, il est vrai, d'expliquer pourquoi une énergie toute spirituelle et soustraite aux lois de la matière a des bornes. Mais, une fois admise, cette énergie directrice des mouvements n'aurait pas un caractère aussi perturbateur que Leibnitz le suppose, car il faut tenir compte de ce que les mouvements se neutralisent à distance. Une direction nouvelle du mouvement pourrait être neutralisée à une certaine distance de son point de départ et ne rien changer ni à la somme totale des forces et des mouvements, ni même peut-être à la direction totale de l'ensemble. Le poisson qui se meut dans la mer à droite ou à gauche n'empêche pas la mer de se soulever et de s'abaisser selon une loi régulière; il y a compensation des petits effets les uns par les autres quand on considère la masse. Il n'est donc pas entièrement démontré que le pouvoir de diriger un mouvement dans des conditions déterminées et dans une sphère déterminée, comme celle de nos organes, nous donne nécessairement le pouvoir de tout faire et de sauter jusqu'à la lune. Notre action transitive, en un mot, pourrait être réelle, tout en étant limitée.—Voilà ce qu'on pourra objecter à Leibnitz.